Le blog de Loiseau Bleu c'est une terrasse virtuelle sous palmier avec musique, bassin, fontaine ruisselante, végétation marocaine, ocres et bleus assourdissants, et les allées et venues de l'Odile qui cause de tout et de rien
04 mai 2006
La maman de ta maman Maman comment elle s'apelle ?
... Je vendais des pommes sur la place du marché avec mon père :
j’avais sept ans !
Sa vie ne tourne plus rond du tout,
voire
carrément stoppée
en stand by
pause
Il lui faut comprendre
elle doit se décider, s’y décider
elle doit interroger cette Femme inéluctablement muette. Sa mère.
Le silence est d’éternité dans cette salle à manger presque
totalement hermétique à l’intensité du soleil de juillet qui apprécierait bien lui-même un peu d’ombre bienfaisante tant les murs blancs de l’étroite cour carrée reflètent sa propre incandescence !
La femme qu’elle croit connaître, porte le dos voûté. Et les mains posées à plat sur la table
Des mains de femme qui n’ont jamais travaillé
Des mains de femme qui n’ont jamais rien fait
Des mains de femme dite hier « au foyer ! »
Des mains posées devant elle aujourd’hui femme rattrapée par le temps
Des mains posées sur la longue table brune qui a tressailli sous des kilomètres de tissus (faille, piqué, shantung, soie, mousseline, natté…)
frissonné sous la musique des ciseaux crâneurs pardon, cranteurs
s’est effrayée de la possible piqûre des épingles à tête colorée
Cette longue table brune qui aimait la caresse de la pâte brisée ou celle feuilletée chacune massées par ces mêmes mains pour se reposer et devenir tarte ou quiche ou barquette et hôtesses conviviales de fruits, lardons ou petits poquets d’asperges fraîches
Cette longue table brune qui accueille aujourd’hui inanimées ces mains volant au temps une suspension sidérante à leur activité inactive et pourtant continue, permanente,
des mains de femme en non travail
mais sans cesse en activité de « fairien »
des mains de femme fortes d’un ouvrage qu’elles ne veulent toujours pas lâcher
tant elles ont œuvré pour ne pas cesser de ne pas penser.
Et ces mains se croisent
Puis soudain se décroisent
et la gorge déglutit
et les yeux se ferment
et la bouche s’entrouvre, se referme
et la gorge déglutit de nouveau
et le visage se tourne vers elle
qui craint maintenant d’avoir posé la question !
Surtout qu’elle le sait parfaitement :
ses questions restent depuis des années sans réponse !
Mais celle-là, celle là, quelle sera-t-elle ?
Les épaules se relèvent
retombent
et des côtes repliées, écrasées sur elles-mêmes libèrent un souffle angoissé qui de façon saccadé libère une réponse étonnante
… J’avais sept ans et je vendais des pommes avec mon père sur la place du marché ! J’avais sept ans !
Et dans les yeux de sa mère elle saisit toute la surprise qui vient elle-même de surprendre cette femme. Comme un anéantissement !
« C’est tout ! »
Que dire d’autre, sinon rien !
Et d’autant plus que cette mère se relève de sa chaise et par côté jardin prétextant une inutile activité.
La voilà de nouveau seule dans sa vie qui ne tourne plus rond,
Voire, carrément arrêtée
Stand by
Pause
Fin ou parenthèse
Elle n’en sait rien
Parfois espère l’un aspire à l’autre
Parfois aspire à l’un espère à l’autre
Elle vient de comprendre : de ce côté-là, plus rien à espérer
Mais il y aura l’appel téléphonique d’un autre jour
Et elle reconnaîtra la voix chargée d’accent
Doublement chargée d’accent
La voix de sa mère
Qui la met aujourd’hui en lien avec l’autre plus vite que sa pensée ne pourrait le faire
La voix de cette mère par elle si aimée si haïe si admirée
Mais elle n’en sait rien encore
La voix de cette mère qui lui dit
« Je t’admire »
à en mourir de lui entendre le dire !
E il y a eu cet autre jour
la question de la maîtresse
Sa propre fille revient de l’école maternelle
C’est bien l’école maternelle ça insère votre enfant ça le socialise
« Maman » dit justement Sa si souriante enfant,
« La maman de ta maman,
comment elle s’appelle ? »
C’est soudain la trappe qui s’ouvre, les pieds qui jouent dans le vide, la tête qui se fige, ou qui se ramollit, qui devient fromage blanc d’où d’aucun trou ne sort une quelconque réponse !
« Alors maman, tu me réponds, la petite perd son sourire, la maman de ta maman comment elle s’appelle ? »
Comment dire quelque chose que l’on serait en droit de savoir et que l’on ne sait pas
Comment dire une chose à propos de laquelle tout d’un coup on prend conscience qu’on n’a jamais soi-même penser seulement pouvoir poser la question
posée la
ques
tion ?
Maman ?
Tu m’entends ?
Pourquoi tu réponds pas ?
La maîtresse dit que c’est pas difficile,
elle dit que la maman de ta maman c’est ta mamie,
et que tout le monde connaît le nom de sa mamie.
Toi ? Maman tu le connais bien le nom de ta mamie
puisque moi je connais bien celui de ma mamie?
Elle était d’où ta mamie à toi ?
Aïe pitchoune, arrête, j’ai le diaphragme qui me fait mal. Jamais je n’ai demandé, du moins, il me semble là, juste à ce moment-là que je n’ai jamais su
Il faut que j’invente quelque chose
vite, vite, une réponse, une histoire ah oui, une histoire !
Mais attention aux histoires les enfants les reconnaissent vite : elle n’a pas cru à celle-là car elle lui a dit
« C’est pas vrai,
c’est pas ça le nom de ta mamie,
n’invente pas, je le sais j’en suis sûre ! »
Mince cette fille qui l’a choisie de plus est clairvoyante
Et si petite elle a de la riposte !
« T’as qu’à lui demander à ta maman,
t’as qu’à lui demander au téléphone !
allez maman, c’est pour
l’arbre jeunéallogique a dit la maîtresse
Celle-là j’ai bien envie de lui faire sa peau sur le champ. Mais de quoi elle se mêle
Horreur et damnation, une chose est sûre si, selon une théorie les enfants choisissent leurs parents, elle se rend soudain compte que la sienne l’a choisie pour jouer avec elle aux devinettes,
moi qui justement pense-t-elle ne peux pas y répondre !
Et en écrivant elle prend conscience du pourquoi de la souffrance qu’elle ressentait dès qu’on lui proposait une devinette ou même seulement une interrogation !
Reste la question à la Mamie
L’enfant la regarde
« Maman, il est là le téléphone »
La modernité met l’espace à portée de main. Alors elle saisit le téléphone et elle fait les numéros qu’elle connaît par cœur
Elle se dit « Pourvu qu’elle ne me réponde pas
Pourvu qu’elle soit en train de se promener
De jardiner
De cuisiner
De papoter
De papoter, ah oui ça ça serait bien, surtout avec le voisin espagnol Elle qui ne connaît pas cette langue ne ressent aucune gêne pour le comprendre et à les observer, on croirait deux larrons en foire ces deux-là chacun du côté respectif de la grille de son jardin
Dommage !
Le téléphone a sonné Elle décroche
Ne pas lui tomber tout de suite franco de port dessus « Bonjour Maman, ça va maman
Il fait soleil
Tu jardines ?
Tu as toujours plein d’anémones (elles sont ses fleurs préférées) ?"
et bla bla bla et bla bla bal
mais il y a la petite à côté d’elle
elle sent sa petite main dans sa grande main et elle sent que la petite main tire sur sa grande main comme si elle était le bourdon d’une cloche
et elle entend la voix de l’enfant
« allez maman demande à mamie ! »
Que va-t-il se passer ?
De toute façon comment reculer devant l’insistance de l’enfant rieuse qui se tient à ses côtés impatiente
« Qu’est-ce qu’elle te dit ta pitchoune ? »
Même sa propre mère a senti la présence de l’enfant
Alors elle déglutit et elle se lance
Voilà c’est fait, elle va répondre. Enfin normalement elle doit répondre, elle ne peut pas esquiver ! Mais qu'attend-elle ? Il finira quand ce silence !
lourd, long, profond… trop profond
Oh maman, ça va pas,
qu’est-ce qui se passe
qu’est-ce que j’ai dit encore
soudain, un sanglot dans la gorge
ça y est, elle va la faire pleurer une fois de plus
Maman, c’est pas moi, c’est la pitchoune,
elle veut savoir
C’est pour le dire à l’école
Ils ont de drôles de question à l’école, je me souviens pas
Mon père je sais, c’est Florian, mais ma mère
C’est incroyable, je ne me souviens pas..
Elle sent monter chez sa mère une émotion fortement mêlée de surprise et d’étonnement. A la mesure de la hauteur de l’incapacité dans laquelle elle se trouve pour donner le nom de sa propre mère !
1 h 20 d’écriture, le 6 juin 2004
et aujourd’hui 4 h 55 le 4 mai 2006
elle-même s’est réveillée larmoyante
à force de tout récapituler elle s’est vue découpant du carton au cutter et celui-ci dérapant vers ses poignets par hasard ou à la faveur d’une veine du papier recyclé plus résistante
Ah non, impossible que ça recommence ! Si elle l’a été –bien que jamais soignée- elle ne l’est plus ! Alors agir ! Se lever, baîller grand très grand comme le roi lion à s’en décrocher la mâchoire puis, changer le bocal du poisson, très important de changer le bocal du poisson, manger un p’tit déj matutinal, ça fait du bien et aussi allumer l’ordi. Ah ça c’est une bonne idée. Alors elle la joue ! Oh, et puis non, pas d’ordi plutôoooooooooooot ? Plutôt faire un gâteau !
Elle attrape la farine avec beaucoup de difficultés, ouvre le paquet avec encore plus de difficultés. D’ailleurs un quart du contenu est déjà sur le sol. Elle étale le restant sur la longue table brune puis s’assied et regarde ses mains
La femme qu’elle croit connaître, porte soudain le dos voûté.
Et les mains posées à plat sur la table
Des mains de femme qui n’ont jamais travaillé
Des mains de femme qui n’ont jamais rien fait
Des mains de femme même plus dite « au foyer ! » aujourd’hui.
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