18 janvier 2014

Le Printemps en Bretagne - François René de Chateaubriant

Le Printemps en Bretagne est plus doux qu'aux environs de Paris et fleurit trois semaines plus tôt. Les cinq oiseaux qui l'annoncent, 
l'hirondelle, 
le loriot, 
le coucou, 
la caille et 
le rossignol arrivent avec de tièdes brises qui les hébergent dans les golfes de la péninsule armoricaine. La terre se couvre de 
marguerites, 
de pensées, 
de jonquilles, 
de narcisses, 
de hyacinthes, 
de renoncules, 
d'anémones, comme les espaces abandonnés qui environnent Saint Jean de Latran et Sainte Croix de Jérusalem à Rome. Des clairières se panachent d'élégantes et hautes fougères ; des champs de genêts et d'ajoncs resplendissent de fleurs, qu'on prendrait pour des papillons d'or, posés sur des arbustes verts et bleuâtres. Les haies au long desquelles abondent la fraise, la framboise et la violette, sont décorées d'églantiers, d'aubépine blanche et rose, de boules de neige, de chèvres feuilles, de convolvulus, de buis de lierre à haies écarlates, de ronces dont les rejets brunis et courbés portent des feuilles et des fruits magnifiques. 
Tout fourmille d'abeilles et d'oiseaux : les essaims et les nids arrêtent les enfants à chaque pas. Le myrte et le laurier croissent en pleine terre, la figue mûrit comme en Provence. Chaque pommier, avec ses roses carminées, ressemblent à un gros bouquet de fiancée de village. L'aspect du pays entrecoupé de fossés boisés, est celui d'une continuelle forêt et rappelle l'Angleterre. Des vallons étroits et profonds où coulent parmi des saulaies et des chenevrières, de petites rivières non navigables, présentent des perspectives riantes et solitaires. Les fûtaies à fond de bruyères et à cépées de houx, habitées par des sabotiers, des charbonniers et des verriers, tenant du gentilhomme, du commerçant et du sauvage ; les landes nues et les plateaux pelés, les champs rougeâtres de sarrasin qui séparent des vallons entre eux, en font mieux sentir la fraîcheur et l'agrément. Sur les côtes se succèdent des tours à fanaux, des clochers à la renaissance, des vigies, des ouvrages romains, des monuments druidiques, des châteaux ; la mer borde le tout. 

Entre la terre et la mer s'étendent des campagnes pélagiennes, frontière indécise des deux éléments : l'alouette des champs y vole avec l'alouette marine, le chanvre et la barque à un jet de pierre l'un de l'autre, sillonnent la terre et les eaux. Des sables de diverses couleurs, des bancs variés de coquillages, des ficus, des varechs, des goémons, des franges d'une écume argentée, dessinent la lisère blonde ouverte des blés ; j'ai vu dans l'île de Céos, un bas relief antique qui représente les Néréïdes, attachant des festons à la robe de Cérès. 

Dans les paysages intérieurs du continent, le plan terrestre et le plan céleste se regardent immobiles ; dans les vues maritimes, le coulant azuré des flots est renfermé sous l'azur fixe du firmament. De là un contraste frappant l'hiver : du haut des falaise, le tableau est de deux couleurs tranchées : la neige, qui blanchit la terre, noircit la mer. 
Pour jouir d'un rare spectacle il faut voir en Bretagne le soleil et surtout la lune, se levers sur les forêts et se coucher sur l'Océan. 

Etablie de Dieu gouvernante de l'abîme la lune a ses nuages, ses vapeurs, ses longs rayons, ses ombres portées, comme le soleil ; mais, comme lui, elle ne se retire pas solitaire, un cortège d'étoiles l'accompagne. 
A mesure qu'elle descend au bout du ciel elle accroît son silence qu'elle communique à la mer. Bientôt elle touche à l'horizon, l'intersecte, ne montre plus que la moitié de son front qui s'assoupit, s'incline et disparaît dans la molle intumescence d'un lit de vagues. Les astres voisins de leurs reines, avant de plonger à sa suite au sein de l'onde, s'arrêtent un moment, suspendus sur la cime des flots et des écueils,, phares éternels d'une terre inconnue. La lune n'est pas plutôt couchée, qu'un souffle venant du large brise l'image des constellations comme on éteint des flambeaux après une solennité. 

Lodile n'aime pas la pluie. Elle préfère lire.

Le gong résonne fort sur la terrasse de Loizo. Lodile serait-elle mécontente ? La nouvelle venue le salut.
"Bonjour Loizo, t'as vu comme il pleut" Son ton est bien atone. Loizo réagit.  
"Attends Lodile tu ne vas tout de même pas te plaindre, pense aux aloés, même les aloés ont envie d'un peu de pluie ! Que dirais-tu si tu habitais la Bretagne !"
"La Bretagne ? Pourquoi parles-tu de la Bretagne, Loizo ?"
"Parce que j'ai appris qu'il y pleuvait quasi quotidiennement depuis près d'un mois. Et tiens, à propos de Bretagne, lis-donc cette histoire !"
Lodile est étonnée. Loizo ne lui a encore jamais rien donné à lire. Auprès du bassin, il y a la feuille de bardanne. Sous la feuille de bardane il y a le thé à la menthe, brûlant très brûlant. Près du bassin il y a une balancelle. Lodile s'installe. Papier sous les yeux,  paille en bouche et verre en mains va pour la lecture. 

Il était une fois, c'était un week end 
la femme qui cherchait partout un ouvrage que lui avait offert son père, il y avait quarante ans déjà. 
Mais où donc était-il passé ? Elle avait dû le prêter à quelqu'un, mais à qui ? Elle n'en avait plus une seule idée.
Alors elle murmurait, "je vais consulter OMAZAN et le commander"  OMAZAN bonjour.... tout en consultant le serveur, tout en remarquant l'ouvrage, elle se dit que celui-ci ne remplacera pas le sien. Elle arrête ses consultations et se remet à glandouiller.

Elle glandouille ainsi chaque fois qu'elle reprend la rédaction d'un livre qu'elle a en tête depuis de nombreuses années.  
Elle est là devant son écran, devant son clavier et elle tente de trouver le mot juste quand le téléphone sonne.  

"Bonjour, ça va que fais-tu avec ce temps-là ?"
"Je glandouille, enfin, heu pardon j'écris !"
"Tu fais bien d'ailleurs que faire d'autre par ce temps-là, mais t'as vu la pluie qui tombe, c'est fou, mais quand donc va-t-elle s'arrêter ! T'as le moral toi, qu'est-ce que tu fais t'as dit ? !" La voix suspend son vol.
Elle répond
"oui j'ai le moral, d'ailleurs quand je glandouille c'est parce que j'ai le moral !"
"Moi je l'ai pas, mais alors pas du tout, alors tu sais ce que je fais..
"Heu non, je ne sais pas !"
"Et bien je range et comme j'ai rangé j'ai quelque chose à te donner, je te le fais parvenir !"

Avec quelques secondes de retard elle réfléchit " : "Oui c'est vrai y en a marre, cela fait bientôt deux mois qu'il pleut, mais que peut-on faire pour arrêter la pluie ?  Au moins il y aura de l'eau aux fontaines cet été, c'est un mal pour un bien !
"Ce sont des livres de mon père, garde ceux que tu veux, même ceux que tu ne veux pas, je veux m'en débarrasser, je te les donne !"
"Tu vas me descendre des bouquins de ton père. Heu, oui, pourquoi pas, envoie, je verrais ?"
Salut à touttttt ! Et la conversation prend fin.
Elle pense "Pourvu qu'il y ait des livres de conte" Ce sont les seuls bouquins qui l'intéressent. "Pourvu qu'ils soient vieux" car les neufs ne l'intéressent pas. "Pourvu qu'ils soient très vieux" Et elle se prend  à rêver, "pourvu qu'il y en ait un, seulement un !"  
Et sur cet espoir, virgule, point virgule, point d'exclamations, deux points, retraits, et guillemets, les phrases reprennent la route du clavier des doigts agiles. 

Bientôt driiiiing on sonne à la porte.
Elle est en robe de chambre. C'est bon de glandouiller en robe de chambre. Cependant moins bon d'ouvrir aux alentours de 15 h dans cette tenue. Après tout tant pis, elle est chez elle !  Elle ouvre. Elle a bien fait. Ce sont les livres. Deux sacs, forts lourds, en mains, posés par sa jeune voisine qui déjà s'éloigne en lui souhaitant "Belle journée glandouille !"  

Curieuse, les livres l'intéressent toujours, elle se penche sur le contenu des deux poches. Et là commence peut-être, le conte pour de vrai. Elle passe tous les titres en revue. Certains l'intéressent, d'autres pas mais quand elle saisit le dernier elle est émue. Elle le connaît. Elle est en connivence avec lui. Elle sait d'instinct que son titre sera bien celui auquel elle pense depuis quelques temps. l La couleur -il n'a pas de jaquette-, le format, tout lui parle.  Elle l'ouvre et n'a pas besoin de lire le titre. Le titre est celui de l'ouvrage qu'elle cherche. Le titre est bien les "Horoscopes Insolites"  A deux doigts de le commander sur OMAZAN.

http://youtu.be/WBUEUroiiBs uniquement par rapport à la conversation téléphonique

Alors elle attrape le téléphone et apprend l'événement à sa voisine. Elle dit que c'est marrant que leurs deux pères aient pu avoir aimé lire, chacun, les "Horoscopes insolites". Seul point commun entre les deux hommes : l'armée, à laquelle ils ont appartenu durant leur activité professionnelle.   Elles en pleurent de rire. Elles pensent à eux et les imaginent ensemble, s'ils s'étaient connus, mâtinés de Laurel et Hardy. Et la conversation va se terminant quand celle qui appelle soulève la couverture du livre. Elle écarquille les yeux de surprise.
"Mais ce livre n'a jamais appartenu à ton père ? Ce livre est le livre de mon père, celui qu'il m'a donné et que je cherchais partout !" Elle est morte de rire. Elles sont mortes de rire.  
Trente ans déjà. Pas d'erreur. La date est écrite dessus.  Avec leur nom et prénoms. 
Elle commente "C'est amusant tout de même. On dirait une histoire" 
Elle répond "Si tu veux, moi je pense que c'est surtout bien... de faire le ménage."
Bon ben, finalement, on n'en fera pas un fromage de cette histoire. 
Lodile relève la tête. Loizo la surveillait. "Alors ?"
"Alors c'est amusant Loizo, merci  et bonne journée glandouille à toi aussi. Je dois te quitter !"
Et ding ding dong le gong répand ses sonorités légères.
Au fait vous qui venez de vous arrêter, par hasard ou peut-être pas, n'oubliez pas... sous la feuille de bardane, il y a paille, thé, café ou boissons exotiques à votre portée. Buen provecho à bientôt. 

15 janvier 2014

Après l'allocution présidentielle tiens revoilà Lodile drelidrelinlinlin

Les jours se suivent et ne se ressemblent guère. Une chance. 

Le carillon de l'entrée résonne presque en brouhaha. De quoi vas-tu causer Chère Lodile. C'est Loizo qui pose la question. Lui qui, aurore née, s'est plongé dans les amours des Mille et une Nuits. Justement, c'est aussi le sujet de Lodile. Mais qu'est-ce que ça peut te faire Lodile les amoures présidentielles. Oh la la là fais gaffe tu vas être traitée de raciste, comment qu'est-ce qu'ils ont les petits hommes laids, maigres ou ronds à subjuguer ainsi les belles femmes. Mais c'est qu'ils sont présidents. Pas tous pas tous, clame-t-elle, ainsi donc moi je connais, moi j'ai... et elle liste. Pour ma part, je ne suis pas forcément apte à donner de réponse. Laissons la force à la seule question.

Eclats de Rose Bleue de Chine
Cependant, sans être mathématicien, on peut se pencher sur la formule suivante : Ce que fait A à B, C peut le lui faire à son tour. Et sur ce sujet féminin ou masculin personne ne l'emporte sur l'autre. Sauf à lire Les Mille et une Nuits dans les bonnes versions. Isn't it.  Et ce depuis des siècles. Faut la calmer ma petite Lodile. Lodile, voyons, te dirait-il de goûter un jus de bergamote, ou une boisson  miel gingembre, ou des fruits confits aux doux parfums ?. Figurez-vous qu'elle veut bien. Mais bien sûr, comme toujours, cruche au frais sous la grande feuille de bardane. Et si vous qui lisez préfériez un thé à la menthe ou une petite vodka glacée, vous savez quoi faire. Bien sûr. Feuille de Bardane. 
Pendant ce temps chante la fontaine et s'enivrent les roses. A bientôt. 

09 janvier 2014

Sur la terrasse le rideau s'envole revoilà Lodile.

Loizo sait qu'elle parlera. Loizo sait que mieux vaut se taire. Il se tait. Elle embraye, le souffle hoquetant, comme suffoquée.
"Si tu savais si tu savais Loizo".
Je ne sais pas, dit-il, mais je sens que je vais savoir.
"Et comment" dit-elle. "Ecoute, regarde, tu vois comme je suis habillée". 
Il hoche le cou. Il la détaille. Pas mal, tu es pas mal habillée Lodile.
"Ouais ouais tu dis ça pour me faire plaisir. Faut dire que j'aurais pas dû mettre ces vernis noirs et leurs noeuds rouges ; j'aurais pas dû enfiler ces collants noirs unis et pourtant rayés ; j'aurais pas dû enfiler cette jupe noire unie ; et en élevant la voix elle dit "j'aurais pas dû mettre cette fichue veste trois quart et son fameux col de fourrure !" et elle trépigne et en rajoute 
"non j'aurais pas dû" Et soudain  elle se demande 
"Et pourquoi pas, après tout c'est ma fille qui me l'a offerte. Elle a un goût très sûr !" La voilà calmée. Silence sur la terrasse.
Loizo sait que mieux vaut se taire. Il se tait. Elle embraye.
"Te rends-tu compte Loizo te rends-tu compte ?"

  • Que tu es bien habillée ? Certes je m'en rends compte dit Loizo, on peut difficilement faire plus sobre !

"Tu te moques Loizo, te rends-tu compte qu'ils m'ont prise pour une..."

  • Pour une quoi ? Quoi ? Je n'ose même pas imaginer ! Tu inventes.

"Pas du tout Loizo, je te raconte."
Et elle dit. Qu'elle est sortie de l'hôtel des Impôts, la tête un peu dans les nuages, qu'elle a tourné sur la droite, qu'elle a soupçonné, sans vraiment voir, un ouvrier sur un toit et une grosse corde bouger, de même que sur le trottoir qu'elle longeait cet autre qui manipulait des seaux. de terre. Elle dit qu'elle a entendu sans l'entendre une voix qui disait 
"demande lui quel tarif elle demande ?" et que juste à cet instant-là, elle a aperçu une étalagiste accroupie dans une vitrine. Elle avait pensé que c'était trop fort de la prendre pour une tepue.
Elle dit aussi qu'elle a entendu la voix de l'homme qui manipulait les seaux répondre 
"A qui tu veux que je demande ?"
Et elle dit que celui qui se tenait sur le toit avait répondu en riant
"A celle qui vient de te passer devant"
Elle précise que, ahurie, elle avait compris que celle-là même qui venait de passer devant l'ouvrier, c'était elle-même, Lodile. 
"Te rends-tu compte Loizo ! C'est moi qu'il prenait pour une tepue...."
"Comment ça Loizo, que me dis-tu, c'est une façon de dire que je suis belle ! Et toi ça te fait rire ! Tu exagères Loizo. Je préfère quitter ces lieux. 2014, la nouvelle année, tu parles té, pas pour les mecs ! On se croirait encore en 1964. On n'est pas au Brésil ici, encore que,  heureusement que Malyv m'a expliqué. Adieu Loizo.
Remontée Lodile. 
Flegmatique, Loizo sur son palmier pense qu'elle reviendra sous peu... Il s'installe dans son hamac.