08 avril 2010

Chère Vieille Dame Âgée

Je vous écoute. Dans quelques jours vous fêterez votre nouvel anniversaire. Ou ne le fêterez pas. Celui-là vous peine. Comme votre coeur qui s'affole et vous affole. Il dit que vous ne voulez pas, ne voulez plus. Mais vous dites "Demain, cet été, à Noël". Vous dites "ça dépend de la motivation, du désir, du projet"  Pourtant vous dites aussi "J'en ai assez des mots" Vous risquez de partir. Vous avez le coeur brisé. Vos enfants seraient divisés. Pourtant vous avez tout fait. Oui c'est vrai. Vous n'avez jamais fait de différence entre l'un et l'autre. C'est sûrement vrai. Puisque vous le dites. Vous avez tout fait. Aucune différence entre l'un et les autres. Aucune. Vous avez tout fait. Et ça a marché. Un temps. Après le temps s'y est mis. Le temps, le vôtre, le sien, le leur. Le temps de chacun. Et ça n'a plus marché. Et ce n'est pas de votre faute. Ou enfin si ça l'est, ou enfin non, ça ne l'est pas. Je vous le dis. Klerma Foru le souligne aussi aujourd'hui même, avec douceur et sagesse : "Il faut faire attention avec qui on veut faire des enfants". C'est vrai il faut être deux, pour faire des enfants. Vous étiez deux. Pas si sûr. Ou trop sûre. Il est parti. Sans rien dire. Vous avez choisi le silence. Tout était pour vous pourtant. Surtout le droit de ce temps-là. On ne riait pas du pourquoi du départ. Elle n'avait pas la majorité. Vous veniez d'avoir votre quatrième enfant.Mais pour vous il était "le pauvre" "Tu comprends il a beaucoup souffert quand il était jeune !" disiez-vous. Mais la loi c'est la loi. La loi était pour vous. Non, vous l'aimiez ! D'un amour fou ! Loin de vous ! Fou l'amour. Alors vous avez affronté. Courageuse. Travaillé. Courageusement. Responsable. Et rieuse. Et prêteuse. Et donneuse. Jusqu'à votre chemise. Oublieuse. Madame, madame. "Espéreuse" Il reviendra. "Je reviendrai", disait-il, "tu verras nous finirons notre retraite ensemble" Il n'est jamais revenu. Il appelle encore. Quel lien étrange. Quelle histoire. Et vous voilà, avec votre légèreté et votre sourire. Très Chère Vieille Dame Âgée, épuisée par vos blessures, épuisée par vos silences, par cet impossible retour. Tant espéré, tant attendu, tant proposé. Epuisée par l'ultime absence. Pensez-vous à quitter ce séjour ? Il y a les progrès de la science et la possibilité  de  pour-suivre, aussi, encore, quelques temps, quelques jours, quelques semaines, davantage, pour qu'elle vous rejoigne, vous serre dans ses bras. Comme elle fait près de moi. Chère Vieille Dame Âgée, vous n'êtes pas que grande vous êtes grande. Je sais.
8 mai 45, c'est toujours ce que j'écris ou pense. Je corrige. 8 mai 2010 c'est fini, vous nous avez quittée, Vous êtes partie. Nous sommes le 31 octobre  et je navigue entre les pages "Les enfants de Staline". Pourquoi ne m'avoir jamais rien dit. Pourquoi ai-je si peu interrogé. Pourquoi ai-je respecté votre silence ? Pourquoi n'apprends-je pas cette langue qui me plaît tant ? Votre absence me pèse.C'est comme un cycle. Difficile d'en parler. Drôle de commentaire "Mais elle était âgée  faut que tu t'habitues ?" Quelle idée, bien sûr, ça c'est la raison. Mais la raison rend fort et fou. Plus que jamais ma poésie intitulée Salissures remonte en ma mémoire. Elle nous aimait tant sans tâche. Irréprochables. Parfait-parfaites. Elle-même, toujours en nettoyage et en jardinage, et que j'ôte les mauvaises herbes. Avec raison, qu'il était beau ma mère ton jardin. Le plus beau du quartier. Le plus à coeur, le plus vrai, sans esbrouffe, le jardin d'un bonheur intérieur. Et ses ponctuations journalières : un calice de volubilis dans une coupe de champagne, une déclinaison en tierce cosmos mauve violet rose dans le vase étroit tout cristal, les splendides bottes de glaïeuls jaune rouge orangé ici et là à profusion, tes fabuleux lauriers. Rauses. Jusqu'au dernier jour. Je lis "Les enfants de Staline". Drôle. Il est anglais, journaliste,  russe d'origine, niveau de tes petits enfants, anglais et il livre des bribes, des histoires, des noms, des moments. Ceux de Lenina presque du même âge, ceux de Ludmila, quelques années de moins. Parce qu'il a enquêté. Une seule fois j'ai essayé de joindre. Le mail est resté sans réponse. Que livrer  du silence ? J'y pense. 

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