Le gong ne cesse pas de dilingdingdonguer joliment, léger, très léger. En entrant elle l'a juste caressé puis elle m'a dit "Loizo, me voilà amoureuse des mots" J'ai souri en pensant que je la comprenais. Elle poursuivit "Des mots du conte !" J'ai encore souri sachant combien plus souvent ils faisaient du bien plutôt que du mal ceux-là. J'eus droit au "Tu veux les voir ?" Comment peut-on répondrenon à quelqu'un qui vous propose d'écouter ou de lire. J'ai dit Oui. Et me voilà, elle repartie, pages en main. Ils sont écrit par Monsieur Henri Gougaud et je me dis que je n'ai peut-être pas le doit de les déposer ici. Si par hasard quelqu'un voulait que je les retire il n'aura qu'à me le faire savoir : un vent de sable sur la terrasse et hop là, j'effacerai. Pour l'instant je les dépose. Voilà, c'est fait : Voilà l’histoire telle que Henri Gougaud l’a écrite.
Autrefois, en Arabie un roi vivait nommé Shams le Paisible. Il possédait un trésor vivant, sa fille au rire bienfaisant comme la source de la vie, aux yeux d’évidente espérance, au nom aimé du vent : Zahra. Shams, au matin de chaque jour, baisait son front en chantonnant (c’était sa prière de l’aube) : « Trois bontés chassent les chagrins : le vin frais, mes roses et Zahra, que Dieu protège des méchants ! » Et tous rendaient les mêmes grâces, autour de lui, en chœurs joyeux.
Elle était belle, certes, elle était sage aussi, car auprès des savants que fréquentait son père elle avait cultivé bien des livres féconds et goûté ce savoir qui enivre parfois et parfois fait pleurer d’espoir démesuré. Elle savait distinguer le mot de la parole, le temps de la durée, l’énigme du mystère et les beautés cachées des subtilités vaines. Enfin sans le secours de ceux qui savaient tout, même l’art de se taire, elle avait appris seule à écouter, la nuit le tambour de son cœur, la rumeur de son corps et le chant de son âme.
Vinrent ses dix-huit ans. Un jour, comme Zahra, à sa fenêtre ouverte, contemplait la cité aux remparts de safran, lui revint à l’esprit cette parole étrange qu’elle avait entendue d’un mendiant sans regard : « Tu es le sultan de ta vie. Que l’amour seul soit ton palais, ton royaume, tes palmeraies, ton désert et ton océan. » Et comme elle souriait, pensant à ce mystère, son père vint à elle avec ses conseillers.
« Ma fille, lui dit-il, voici le temps venu d’épouser un pays et son prince héritier. J’ai choisi ton époux. Il est juste et puissant. Qu’il te donne vingt fils et que Dieu t’aide à vivre ! »
Elle répondit :
« Hélas mon père, l’homme que j’aime est loin d’ici, si loin que je ne sais pas où. Pourtant il me viendra un jour, mais lui ni moi ne savons quand. Voici passé le temps d’enfance, vous l’avez dit, seigneur aimé. Veuillez donc me laisser aller. Je dois construire la maison où j’attendrai mon bien-aimé sans lequel ma vie n’est que sable.
Elle salua le roi, ses conseillers aussi, elle tourna les talons, elle quitta le palais, elle traversa la ville.
Elle s’en fut au désert. Une pleine journée elle marcha vent debout. Le crépuscule vint et le vent s’apaisa. Elle contempla les horizons et se vit droite au cœur du monde. Là, au milieu de l’infini, elle bâtit une maison basse. Elle fit les murs, posa le toit, pierres mêlées de branches mortes, elle fit la porte en bois perdu, franchit le seuil et s’enferma.
Aussitôt la rumeur envahit la cité.
- Savez-vous bonnes gens ? La princesse Zahra est recluse au désert. Elle espère l’amour, elle attend qu’il lui vienne !
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- qui ne connaissait pas Zahra fille de Shams ? Qui ne la savait pas plus belle et désirable que les mille palais du paradis des purs ? Ils accoururent tous, princes, marchands, voleurs, mendiants et philosophes, timides, fanfarons, bancals, brûlés d’amour, chacun poussant son ange et traînant son démon.
-
- Au premier qui frappa à sa porte fermée :
- - Qui vient là ? demanda Zahra
- Le cœur serré dans sa chemise l’homme lui répondit
- - c’est moi
- Alors il entendit Zahra lui murmurer, à l’abri de sa porte close l :
- - ensemble dans cette maison toi et moi ne pouvons pas vivre. Dis-moi ton nom homme et va-t-en !
- Il obéit. Et s’éloigna. Et tandis qu’il s’en retournait, la recluse broda son nom sur son manteau de laine bleue.
- Le lendemain un autre vint. Lui aussi frappa à la porte.
- Qui vient là ? demanda Zahra
- Comme son frère de la veille, il lança fièrement :
- C’est moi !
- Comme son frère de la veille il entendit ces mêmes mots :
- Ensemble dans cette maison toi et moi ne pouvons pas vivre. Dis-moi ton nom homme, et va-t-en !
- Le nom fut dit et fut brodé sur le manteau de laine bleue
Ils vinrent cent, ils vinrent mille, ils vinrent dix et vingt années. Chacun à la question posée, répondit à la porte close :
C’est moi Hassan, c’est moi Ali, c’est moi tel familier de Shams, tel coureur de sable ou de vent. » Cent et cent noms furent brodés sur le manteau de laine bleue, et les jours et les nuits passèrent et les printemps et les hivers, jusqu’au bout où fit halte au seuil de la maison un errant aux pieds nus.
Moktar était son nom. En langue d’Occident son nom était « l’élu » Il n’avait dans les mains que seS lignes de vie. Ses trésors étaient tous dans ses yeux étoilés. Il ne frappa qu’un coup à la porte fermée.
- Qui vient là ? dit Zahra
- Moktar, droit sur le seuil, resta la bouche close. On entendit le vent caresser le désert. Une deuxième fois :
- Qui vient là ? dit Zahra
Ce fut comme un souffle de sable. Moktar ne lui répondit pas. Alors Zahra, l’aimée de Dieu, derrière la porte fermée approcha sa bouche tremblante d’une fente dans le bois brut. Elle dit encore :
Qui vient là ?
Moktar pencha sa haute taille et contre cette même fente dans le vieux bois il répondit
- c’est toi,
- La porte lentement s’ouvrit.
Moktar entra. Il s’avança. Et que vit-il dans la pénombre ? Une vieille ridée, courbée dans son manteau de laine bleue où tant d’éphémères passants avaient laissé leur trace inscrite. Moktar vit-il ses yeux fanés, ses cheveux neigeux, sa fatigue ? Un fil au bout d’un nom brodé sur l’épaule attrapa son regard. Il le tira, défit le nom, et par la porte ensoleillée il lança le fil à la brise et ce fil à peine dehors se fit oiseau et s’envola. Il en tira un autre encore. Un nom encore s’effaça, un oiseau encore s’en fut, ivre de vent et de lumière. Un long, un court et un cinquième et celui d’un guerrier persan, et celui d’un caravanier, et miracle, avec chaque nom effacé sur le manteau bleu, avec chaque fil envolé, chaque cri d’oiseau délivré, une ride disparaissait sur le visage de Zahra, son teint retrouvait son éclat, et ses yeux leu bonheur vivant. Quand ce fut plus un seul nom brodé, quand le soleil eut disparu derrière la nuée d’oiseaux qui avaient envahi le ciel, Zahra était à nouveau jeune, plus ardente encore et radieuse qu’au plus beau printemps de sa vie.
Alors les deux qui ne font qu’un s’en furent droit dans le désert. Nul ici-bas ne les revit. Derrière eux n’étaient aucune empreinte, ni de l’une ni de lui.
Collection Texte et Voix 3 350001062573 9
Desclée de Brouwer
Il me vient maintenant en mémoire que j'ai écouté moi aussi ce conte-là du côté de Mauron un soir de juillet. C'est Monsieur Gougaud lui-même qui le contait et j'avais été scotché.
2 commentaires:
merci de m avoir permis de retrouver ce magnifique conte entendu dans la drome un soir de fete des lumieres...
Ce conte est merveilleux et merveilleusement restitué, cette course de mots légers nous fait oublier le temps.
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